Opinions : Croquis mensuel de Pascal Francq – Décembre 2016
Pascal Francq

Ne nous trumpons pas de problèmes

Après la stupeur suscitée par l’élection de Donald Trump comme 45e Président des États-Unis d’Amérique, certains se demandent encore ce qui s’est passé. Pour d’aucuns, ce sont les réseaux sociaux en ligne, et plus particulièrement Facebook, qui portent une lourde responsabilité [1].
En agissant comme plates-formes de diffusion de rumeurs et de contre-vérités, les réseaux sociaux en ligne auraient influencé les électeurs. Mais la défaite de Hillary Clinton trouve probablement ses origines ailleurs. Il me semble bien, plutôt, qu’on surévalue l’importance des technologies sur les comportements démocratiques.
Internet est neutre. Il offre indiscutablement des opportunités pour favoriser les démocraties (leur émergence ou leur redynamisation). Il serait illusoire toutefois de penser qu’en déployant sans cesse de nouvelles technologies, les valeurs héritées des Lumières se propageront par magie.
La question centrale est plutôt celle de la citoyenneté. Il faut bien évidemment prendre en compte l’ère numérique dans laquelle nous vivons, mais l’enjeu essentiel reste l’éducation : quels citoyens voulons-nous et quels moyens nous donnons nous pour y parvenir ?

Quelques causes de la victoire de Donald Trump

Plusieurs analystes politiques avancent, pour expliquer la victoire de Donald Trump, des causes bien plus crédibles que les commentaires laissés sur les réseaux sociaux en ligne. On peut les regrouper en deux catégories.
On retrouve tout d’abord des facteurs socio-économiques. Les électeurs de Donald Trump vivent principalement dans les zones oubliées par la mondialisation néolibérale [A]  [A] La mondialisation a toujours existé. Les archéologues ont depuis longtemps démontré que des échanges, que nous appellerions commerciaux de nos jours, existent depuis le début de l’humanité. De même, dès l’industrialisation, le capitalisme avait une dimension mondiale à travers les colonies des puissances (capitalistes) occidentales. Par mondialisation néolibérale, je désigne cette nouvelle étape du capitalisme qui débute avec la chute du mur de Berlin. Elle se caractérise par une amplification des délocalisations rendues possibles par les nouvelles technologies de la communication et de transport (internet, supertankers, etc.), ainsi que par une financiarisation accrue de l’économie (notamment à travers les produits dérivés de plus en plus nombreux).. Ce sont les régions désindustrialisées, notamment la Rust Belt, mais aussi les petites villes du centre et du sud des États-Unis.
Loin des nouveaux géants du numérique, des grandes entreprises financières et des centres de décision politique, «la classe moyenne américaine» vit une forme de déclassement. Cumuler plusieurs jobs pour survivre et s’endetter lourdement pour financer ses études semblent devenir la norme.
De nombreux Américains ne se sentent plus représentés par «l’élite de Washington». Qu’ils élisent quelqu’un qui en est lui-même en partie issu est finalement anecdotique face au rejet suscité par la candidate démocrate qui incarnait cette élite.
Mais on rencontre également des causes culturelles. Si les habitants des côtes est et ouest sont majoritairement progressistes (du moins dans le référentiel américain), il en va tout autrement ailleurs. Une proportion importante des WASP sont très conservateurs, religieux et attachés au schéma patriarcal.
Certaines régions des États-Unis sont de plus caractérisées par un fond diffus de racisme vis-à-vis des communautés afro-américaine et hispanique [2]. Et ces facteurs se combinent : les WASP ultra-conservateurs habitent souvent dans les zones déclassées.
Dans ce contexte, il n’est guère étonnant qu’il a été impensable pour des pans entiers d’électeurs américains qu’après le passage d’un «nègre» à la Maison-Blanche, ils contribuent à y mettre une «gonzesse».
En fait, toutes les démocraties occidentales sont touchées par la montée des populismes. Les formes peuvent légèrement varier [B]  [B] Ainsi, ce sont deux femmes qui incarnent le populisme en France (Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen)., mais elles trouvent leurs origines dans les mêmes causes socio-économiques et culturelles.

Un technodéterminisme politique

On peut dès lors se demander pourquoi certains pointent la pollution des réseaux sociaux en ligne comme un facteur important du succès de Donald Trump. La réponse pourrait se trouver dans une forme de technodéterminisme politique occidental.
Ce dernier naît sans doute au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La victoire des Alliés, et notamment celle des États-Unis, est également un triomphe technologique. Diverses avancées techniques jouent en effet un rôle majeur dans plusieurs batailles (radar, bombe atomique, etc.). Démocratie et technologie semblent désormais liées.
Ce lien sera ensuite renforcé dans le cadre de l’analyse de la chute de l’empire soviétique par les experts occidentaux. En effet, nombreux sont ceux à surestimer le rôle joué par les technologies de l'information et de la communication (TIC) [3]. Plutôt que d’appréhender les faiblesses structurelles, notamment l’effondrement du système productif et économique, plusieurs spécialistes avancent l’importance du flux informationnel.
Oubliés les longues files devant les magasins ou le virage électronique raté : ce seraient les radios occidentales captées à l’Est (comme Voice of America), les photocopieuses et autres fax introduits par la CIA et utilisés pour diffuser des tracts qui précipitent la fin du bloc soviétique [3].
Cette explication a le mérite d’être simple à appréhender. On cherche à soutenir le développement démocratique ? Favorisons le développement des TIC : la radio et les photocopieuses hier, Google Search et Facebook aujourd’hui ! On essaye de comprendre la déroute de Hillary Clinton ? Pointons les réseaux sociaux en ligne.
Les évènements politiques entre 2009 et 2011 symbolisent ce technodéterminisme politique. Lors des manifestations qui suivirent l’élection présidentielle iranienne de 2009, la plupart des médias et des spécialistes occidentaux consacrent Twitter comme outil révolutionnaire. Les mêmes récidivent lors du «Printemps arabe» en propulsant Facebook au rang d’arme de construction démocratique massive.
Les évolutions politiques ultérieures démontrent à quel point cette vision est simpliste. En réalité, les TIC ne sont pas participatives en soi : leur utilisation dépende du contexte politique particulier (chômage massif des jeunes, corruption, etc.) et des pratiques culturelles de leurs usagers [4].
Le chercheur Evgeny Morozov rappelle d’ailleurs que les régimes autoritaires ne se maintiennent pas seulement par la «force brute», mais reposent aussi sur des dynamiques systémiques propres (religion, nationalisme, etc.) [3]. Il apparaît dès lors illusoire d’imaginer qu’un ensemble d’outils (Facebook, Twitter, etc.) les renversera tous.

L’illusion technologique

En réalité, une analyse attentive des différentes situations souligne le caractère proprement mythique de la relation entre TIC et démocratie. Plusieurs éléments expliquent ce décalage entre perception et réalité. J’en décrirai ici quelques-uns.
Tout d’abord, l’activité en ligne autour d’une situation donnée n’est pas toujours le fait de ses acteurs. Ainsi, la majorité des tweets décrivant les évènements de la Place Tharir ont été envoyés de l’étranger et non par des manifestants égyptiens [5]. Contrairement à la perception commune, les réseaux sociaux en ligne sont parfois plus les témoins que les origines des phénomènes politiques.
Il est évident que les réseaux sociaux en ligne permettent de mobiliser un grand nombre d’internautes autour d’un point focal, tels les départs de Hosni Moubarak et de Zine el-Abidine Ben Ali. Pour autant, construire ensuite un projet commun entre des acteurs ayant des intérêts divergents, voire contradictoires, relève d’une autre paire de manches.
Les évènements du Moyen-Orient et du Maghreb montrent bien toute la difficulté que représente l’élaboration d’un programme collectif entre des forces «laïques de gauche», des islamistes plus ou moins radicaux prônant un conservatif culturel et religieux, et une partie de la jeunesse en quête d’une «vie à l’occidentale» – le tout en envoyant des messages de 140 caractères [C]  [C] Twitter limite en effet à 140 caractères la taille des messages envoyés. Rien n’empêche évidemment un internaute d’envoyer plusieurs messages d’affilée, mais rien de garantit qu’ils apparaîtront à la suite les uns des autres (les internautes abonnés à plusieurs flux recevant tous les messages au fur et à mesure qu’ils sont envoyés). !
Evgeny Morozov pense d’ailleurs que la plupart des internautes vivant dans les régimes autoritaires aspirent aux mêmes comportements que ceux des pays occidentaux [3]. Loin d’être politisés, ils souhaitent avant tout étaler leur vie sur les réseaux sociaux et consommer les mêmes contenus culturels en ligne (musique, séries et films américains, etc.).
Le cas de la pornographie en ligne dans certaines dictatures est symptomatique. Les internautes se mobilisent souvent plus contre toute forme de censure des «sites de charme» que pour accéder aux sites d’information occidentaux. On est donc bien loin des attentes démocratiques supposées.
De fait, on chercherait en vain des éléments probants qui justifieraient le technodéterminisme politique ambiant. Grâce aux TIC, jamais dans l’histoire de l’humanité autant d’informations de qualité n’ont été si facilement accessibles pour un si grand nombre. Pourtant, on assiste à un retour en force de l’obscurantisme religieux, du populisme et du repli sur soi.

L’illusion de la sphère publique

Pire, internet joue un rôle dans la propagation et le renforcement des idées radicales. Non qu’il en soit l’élément principal, mais il agit certainement comme catalyseur pour de nombreux internautes. On est donc loin d’une «sphère publique» en ligne offrant un espace de discussion citoyen.
Le concept de sphère publique est au cœur des travaux du philosophe Jürgen Habermas. Idéalement, elle devrait réunir «un ensemble de personnes privées faisant usage de la raison» qui se forgeraient leurs opinions sur base de l’argumentation développée par différents points de vue [6].
Jürgen Habermas avance deux conditions nécessaires pour l’émergence d’un réel débat démocratique : l’impartialité des citoyens et leur faculté à dépasser leurs préférences initiales [7]. Pour le dire autrement, confrontés à divers opinions, les citoyens devraient être capables d’identifier celle qui est la mieux argumentée.
Mais la réalité en ligne est bien différente. Les internautes ne sont que rarement confrontés à une réelle diversité de points de vue et à une mise en perspective des arguments de chaque partie.
La structure des (hyper)liens entre les diverses sources d’informations tend en effet à créer une multitude d’univers homogènes évoluant en autarcie. Des études menées dans les années 2000 montrent que, parmi les principaux sites Web politiques américains, rares sont ceux qui proposent des hyperliens vers le «camp opposé» [8].
Une analyse similaire menée sur des blogs dédiés aux sujets politiques aboutit aux mêmes conclusions : les blogs défendant des positions similaires tendent à se renforcer mutuellement [9]. En d’autres termes, une fois qu’un internaute consulte un site véhiculant un certain point de vue, il se retrouve piégé dans une toile le soumettant de manière répétitive à la même façon de penser.
Le seul moyen pour un internaute d’accéder à une diversité d’opinions est donc d’investiguer directement sur le Web pour repérer des sources potentiellement intéressantes proposant un véritable aperçu d’une question. Pour cela, il passera probablement par les outils de recherche existants [D]  [D] Au vue de la masse d’information (plus d’un trilliard de pages Web), il est quasi impossible de trouver de l’information "directement" en naviguant à partir d’un nombre limité de pages Web sans passer par des outils de médiation, comme les moteurs de recherche, qui présélectionnent pour nous un sous-ensemble de pages potentiellement intéressantes.. Or ceux-ci ne permettent pas de trouver la diversité recherchée.
Comme je l’ai expliqué dans un billet précédent, les outils en ligne construisent un profil très précis de nos goûts et cherchent avant tout à nous proposer des informations dont ils sont sûrs qu’elles nous intéresseront. Avec la précision des technologies actuelles, il est peu probable qu’un moteur de recherche propose en ordre utile [E]  [E] On sait qu’en pratique les internautes ne consultent que les premières propositions des moteurs de recherche. Généralement, seules les 10 ou 20 premiers sites Web seront visités. Un site Web classé au-delà de ces 20 premières places a donc peu de chances d’être consulté. des sites démocrates à un Républicain, ou le contraire.
On assiste donc sur internet le plus souvent à un processus de renforcement des biais préétablis. C’est pourquoi le juriste et philosophe américain Cass R. Sunstein parle de «polarisation» et de «balkanisation» pour décrire les opinions politiques en ligne [8].

L’illusion de l’envie démocratique

Il me semble que le technodéterminisme politique procède d’un phénomène que je nommerais le «lumiéromorphisme» (par analogie avec l’anthromorphisme). Par ce néologisme, je désigne l’attribution des motivations et des valeurs des philosophes des Lumières aux internautes modernes.
De nombreux spécialistes supposent que l’internaute lambda aspire aux mêmes idéaux que les penseurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il serait avide de tolérance, de liberté et d’égalité pour tous. Et surtout, notre internaute lambda ferait toujours travailler la Raison !
Or les motivations des internautes sont multiples. Si certains s’informent politiquement via internet, d’autres se désintéressent complètement des questions sociétales. En pratique, une analyse quasi individuelle serait donc nécessaire pour dépeindre les comportements en ligne, et non une hypothétique «motivation universelle démocratique» privilégiée par certains chercheurs.
On retrouve en fait un mécanisme déjà observé en économie avec l’hypothèse, oh combien simpliste, de l’acteur rationnel [10]. Ce dernier permet la modélisation mathématique de phénomènes économiques qu’il serait impossible d’analyser si on cherchait à appréhender la réalité psychologique qui pousse un agent économique à agir de telle manière ou de telle autre.
De même, il est de toute évidence plus aisé de mesurer les traces laissées sur internet par les messages envoyés sur les réseaux sociaux en ligne pour établir des indicateurs quantitatifs [F]  [F] Concrètement, on peut toujours construire un graphe dont les nœuds représentent des messages ou les acteurs qui les envoient, et les arcs expriment leurs relations (la citation d’un acteur par un autre, l’hyperlien d’un site vers un autre, etc.). On peut ensuite utiliser des méthodes de calcul de graphes pour établir différentes métriques qu’on peut tenter d’interpréter en termes sociaux. en restant bien au chaud dans son bureau, plutôt que de mener des études de terrain pour comprendre les motivations psychologiques des acteurs et leurs réalités socio-économiques.
On passe surtout à côté des citoyens peu présents en ligne. Une étude menée dans les années 2000 montre, par exemple, que les internautes les plus actifs sur les réseaux sociaux en ligne sont majoritairement diplômés de l’enseignement supérieur [13]. De même, les jeunes électeurs démocrates urbains étaient surreprésentés sur Twitter durant la campagne présidentielle américaine de 2008 [14].
On ne s’étonnera dès lors pas de la surprise de cette étudiante américaine suite à la victoire de Donald Trump alors que tous les messages postés sur son mur Facebook annonçaient que leurs auteurs voteraient pour Hillary Clinton ! À chercher les réponses uniquement sur internet, on finit par s’éloigner des questions essentielles…
Au demeurant, il semble paradoxal de s’inquiéter de l’importance prise par les réseaux sociaux en ligne dans nos vies quotidiennes et d’une forme d’abrutissement que cela entraînerait [11], tout en préconisant leur déploiement massif chez «les autres».

Redynamiser nos démocraties

Bien entendu, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain. Non seulement les TIC, et singulièrement les réseaux sociaux en ligne, sont là pour durer, mais ils peuvent parfaitement s’inscrire dans un processus de redynamisation démocratique plus large. Celui-ci s’articule autour de deux tendances complémentaires [12].
D’une part, les structures politiques établies disposent de nouveaux canaux de communication pour défendre leurs points de vue et fidéliser leurs sympathisants. C’est le cas des partis politiques et des «think tanks» partisans, mais également des ONG. La campagne de Barak Obama en 2008 s’est ainsi largement appuyée sur les réseaux sociaux en ligne.
Les États peuvent également déployer les TIC pour améliorer les interactions avec les citoyens, notamment pour faciliter des démarches administratives (comme la déclaration fiscale en ligne). Internet permet en outre d’impliquer les citoyens dans des décisions locales. C’est le cas de certaines communes qui réservent une partie de leur budget pour des projets choisis en ligne par les habitants.
D’autre part, internet facilite la mobilisation citoyenne en dehors de ces structures politiques établies. Les manifestations organisées par des anonymes et les nombreuses pétitions en ligne qui circulent démontrent que la participation n’est plus forcément réservée à des structures préétablies.
Internet diminue en effet fortement les coûts de participation. Les anciens outils de coordination et de mobilisation (fax, tracts, etc.) ne sont plus indispensables pour toucher un grand nombre de personnes. Une étude menée le jour des élections américaines du 2 novembre 2010 montre, par exemple, qu’un message posté sur Facebook peut inciter les citoyens à voter [15].
Comme je l’ai argumenté plus haut, il ne faut pas surestimer la dimension en ligne d’une mobilisation citoyenne. Le combat remporté contre les brevets logiciels en Europe en 2003 en est l’illustration. Une pétition signée par des milliers de citoyens de tous horizons a certes pesée : cependant, la réussite repose principalement sur le lobbying hors ligne des activistes [16].
Mais il est indéniable qu’internet offre des possibilités concrètes d’actions politiques multiples. On parle aujourd’hui de cyberactivisme pour les désigner. On peut distinguer la cyberdissidence (telle WikiLeaks), la cybermobilisation et la cyberrésistance (pensons aux actions en ligne du collectif Anonymous) [17].
En fait, alors qu’internet n’était au départ qu’un projet de recherche nommé ARPANET, il fut dès les origines utilisé comme une plate-forme de communication démocratique [18]. Rappelons notamment que l’une des deux premières listes de diffusion créées s’appelait HUMAN-NETS et se consacrait aux questions liées aux droits de l’Homme.

Les internautes sont d’abord des citoyens

Comme toute technologie, internet n’est ni bon ni mauvais en soi. Tout dépend des usages qu’on en fait. Certes, les rumeurs et les mensonges en tout genre s’y épanouissent. Mais les potentialités d’usages démocratiques et émancipateurs existent également.
On se trompe donc lourdement de constat en reportant sur le seul internet la responsabilité de l’essor des propos extrêmes, tant religieux que politiques. Si on ne peut nier qu’internet contribue parfois à leur amplification, leurs causes sont surtout à chercher dans les conditions socio-économiques et culturelles des acteurs, sans parler de leurs trajectoires psychologiques individuelles.
Ce n’est pas un hasard si la résurgence du populisme et du repli identitaire et religieux dans nos démocraties occidentales accompagne un écart de nouveau grandissant dans la répartition des richesses. On ne peut plus ignorer qu’une partie significative de nos citoyens sont des perdants de la mondialisation des dernières décennies [G]  [G] Les études indiquent plusieurs phénomènes. D’une part, dans les pays «en voie de développement», la mondialisation a sorti de l’extrême pauvreté des centaines de millions de travailleurs. D’autre part, dans les «pays développés», la précarité tend malheureusement à se développer..
Parallèlement, le monde est devenu plus complexe. L’interconnexion des économies, due tant à la circulation globale des marchandises qu’aux flux financiers, rend les situations géopolitiques plus difficiles à appréhender. De même, les progrès scientifiques posent de nouveaux dilemmes éthiques. Cette complexité suscite des craintes chez certains.
Au risque de me répéter au fil de mes billets, l’éducation m’apparaît comme l’enjeu majeur et l’école publique et laïque comme l’outil cardinal. Pas seulement une école qui enseignerait les connaissances et compétences nécessaires à une intégration économique [19], mais qui préparerait aussi à une citoyenneté en donnant les outils conceptuels indispensables à une réelle émancipation.
Je milite notamment depuis longtemps pour des cours d’éducation numérique dans les écoles. Les futurs citoyens y apprendraient à utiliser judicieusement internet avec un esprit critique sans cesse en éveil. Un investissement public massif dans l’enseignement reste donc indispensable. Mais ceci est une autre histoire…

Références

[1] Hannah Jane Parkinson, «Click and elect: how fake news helped Donald Trump win a real election», The Guardian, 2016.

[2] Justin Gest, «Why Trumpism Will Outlast Donald Trump», Politico Magazine, 2016.

[3] Evgeny Morozov, The Net Delusion: How Not to Liberate The World, Allen Lane, 2011.

[4] Stephen Coleman, « e-Democracy : the History and Future of an Idea », Dans The Oxford Handbook of Information and Communication Technologies, Robin E. Mansell, Chrisanthi Avgerou, Danny Quah & Roger Silverstone (eds.), pp. 262–382. Oxford University Press, 2007.

[5] Alok Choudhary, William Hendrix, Kathy Lee, Diana Palsetia & Wei-Keng Liao, « Social Media Evolution of the Egyptian Revolution », Communications of the ACM, 55(5), pp. 74–80, 2012.

[6] Jürgen Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit, Luchterhand, 1962.

[7] Jürgen Habermas, « Further Reflections on the Public Sphere », Dans Habermas and the Public Sphere, Craig J. Calhoun (éd.), MIT Press, 1999.

[8] Cass R. Sunstein, Republic.com 2.0, Princeton University Press, 2007.

[9] Eszter Hargittai, Jason Gallo & Sean Zehnder, « Mapping the Political Blogosphere: An Analysis of Large-Scale Online Political Discussions », Dans Annual meeting of the International Communication Association, USA, 2005.

[10] Gary S. Becker, The Economic Approach to Human Behavior, University of Chicago Press, 1978.

[11] Nicholas Carr, Internet rend-il bête ? : Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté, Robert Laffont, 2011.

[12] J. Woody Stanley & Christopher Weare, « The Effects of Internet Use on Political Participation: Evidence From an Agency Online Discussion Forum », Administration & Society, 36(5), pp. 503–527, 2004.

[13] Jen Schradie, « The Digital Production Gap: The Digital Divide and Web 2.0 Collide », Poetics, 39(2), pp.: 145–168, 2011.

[14] Daniel Gayo-Avello, « Don’t Turn Social Media Into Another “Literary Digest” Poll », Communications of the ACM, 54(10), pp. 121–128, 2011.

[15] R. M. Bond, C. J. Fariss, J. J. Jones, A. D. I. Kramer, C. Marlow, J. E. Settle, & J. H. Fowler, «A 61-Million-Person Experiment in Social Influence and Political Mobilization», Nature, 489(7415), pp. 295–298, 2012.

[16] Yana Breindl, Hacking the Law: An Analysis of Internet-based Campaigning on Digital Rights in the European Union », thèse de doctorat, Université Libre de Bruxelles, 2011.

[17] Vegh Sandor, «Classifying Forms of Online Activism: The Case of Cyberprotests against the World Bank», Dans Cyberactivism: Online Activism in Theory and Practice, Martha McCaughey & Michael D. Ayers (éds), pp. 71–96. Routledge, 2003.

[18] Michael Hauben & Ronda Hauben, Netizens: On the History and Impact of Usenet and the Internet, IEEE Computer Society Press, 1997.

[19] Renaud Lambert & Sylvain Leder, «Les enseignants aux bons soins du patronat», Le Monde diplomatique, 63(752), p. 18, 2016.